Il est une vallée, d’où le bruit, les machines, les habitations, la civilisation semblent (presque) absents. Un pont sur lequel passe une départementale tortueuse, 2 ou 3 maisons et puis plus rien ou presque, sur des km. Aucune route, des bois, quelques champs à peine entretenus. L’agriculture moderne ne supporte pas ces parcelles étroites enclavées entre la rivière et les pentes boisés.

Les traces des vies passées sont encore visibles, de rudes hommes ont extrait ici le fer, ont bâti des chaussés avec de lourdes pierres, ont domptés les eaux pour préserver les maigres prairies. Tout cela est bien loin aujourd’hui, enseveli par les chênes et les ronces, effondré, abandonné. Seule la rivière a tiré profit du temps qui passe. Une eau claire circule paisiblement entre les dalles schisteuses et les blocs de quartz sur lesquels poussent les osmondes royales, parfois sous les aulnes et les tilleuls, parfois sous les rayons doux du soleil de Mai.

C’est toujours avec le même plaisir que je vais passer une après-midi là où le temps semble s’être presque arrêté. Les insectes ne sont pas très nombreux mais peu importe ici, le pays est rude, il suffit de faire passer le palmer, le sedge ou l’araignée dans le courant ou contre le rocher. Il disparaît dans un éclat vif, sans même avoir le temps de voir la truite.
La reprise est difficile, les premières sont toutes ratées, trop habitué aux gobages gras des grandes rivières. Mais après quelques jurons, le rythme est de retour.
Elles sont d’un brun clair au soleil, grises à l’ombre, zébrées dans les courants et noires devant les rochers mousseux.


Non, ce ne sont pas des poissons d’exception, pas de combat qui fait dévaler la rivière, pas de moulinet qui chante, mais l’essentiel est-il là?
A chaque fois ou presque, un coup de ligne difficile, entre les branches, les ronces, les rochers, à chaque fois un gobage inattendu, qui surprend et fait quand même battre le cœur, et enfin, le bonheur de voir une truite aux couleurs vives, rouge profond, blanc intense et noir pur.
Et puis de temps à autre, la rivière joue à me surprendre, des milliers d’années pour creuser ce schiste en une belle voûte qui s’est transformée en un mur végétal.


Au bas, quelques osmondes fragiles captent la lumière. Puis, sur la paroi verticale, chaque faiblesse de la roche déformée est occupée par des lichens, des mousses des fougères et quelques autres plantes dont la nature m’échappe. Même le cincle est venu y faire son nid.

Les quelques heures de pêche passent toujours trop vite dans ces lieux où je ne fais qu’une infime partie du parcours. Autant contemplatif que pêcheur mais l’essentiel est là. Quand je rentre, je suis apaisé, rassuré de voir que la nature est encore belle malgré tout… Un peu comme si pendant une après-midi j’étais seul au monde.